“Peau Aime”, spectacle vivant.
Un écrit peut être beau. Fort. Profond. Bref, un écrit est couché sur un papier comme un enfant dort tranquillement dans le ventre de sa mère. Une personne le lit et il s’agite. Dans la tête, le coeur ou la peau du lecteur. Qui frémit.
Puis l’écrit se rendort. Une fois le livre fermé.
Tel l’enfant dont on n’a plus qu’une résonance une fois l’échographie passée.
Un écrit peut être lu par de multiples yeux. Par des milliers. Parfois des millions. On en parle. On se le discute. On s’échange ce frémissement. On le dissèque même, pour quelques uns d’entre eux. Les plus chanceux ?
Et puis il y a “Peau Aime”. Patrick Deletrez. Et Corinne Rousseau. Tout ça dans le désordre. Dans le chamboulement que ce spectacle de “jardin” provoque en soi. En nous. Corinne a saisi des textes de Patrick et leur donne vie. Patrick, l’auteur. Le père. Corinne, la mère. Qui porte ces écrits. Avec ses yeux d’abord. Avec son sourire. Ensuite. Elle les porte comme elle porte son accordéon. Comme elle porte son être. Elle les porte avec son être. Et les accouche après les avoir dorlotés. Choyés. Emotionnés. Et nous les dépose en pleine face.
“Je dis…le Silence.”
Tout commence là. Dans le bruit du rien. Plus fécond que le tumulte du tout. Dans ce vide, pourtant, c’est le contraire du nihilisme qui se meut. Qui s’émeut. C’est la Vie. C’est la plongée dans la profondeur de l’âme humaine. C’est la “violence du calme”, pour détourner le très beau titre du livre de Viviane Forrester. Le calme de l’être enfoui en chacun-e de nous. Le calme des textes de Patrick Deletrez lorsque son site web n’est pas activé.
“Je dis le Silence.”
Et Corinne Rousseau s’élance. Agrippe les mots du père pour les faire siens. Les chante. Les parle. Les joue. Les transporte et les transcende. A coups de notes. A coups de regard. A coups de mise en scène. A coups de cris même. Ces mots deviennent ses mots. Ils étaient et sont. Et son. Son intrusion dans notre silence. Nous attrape. Par l’ouïe. La vue. Par le cerveau. Puis par le “touché”. Par le coeur. La force des mots de Patrick devient la puissance de Corinne. Devient notre chambardement. Devient émotion. Emoi. Frissons.
Corinne Rousseau est la mère.
Elle donne Vie.
Son spectacle n’est pas seulement un “spectacle vivant”. Son spectacle EST vivant. Et à l’image du bébé qui pousse ses premiers cris, l’humanité entière peut s’identifier à “Peau aime” : c’est à nous, à vous, à toi, à moi, que Corinne Rousseau donne en fait naissance.
Alors que j’ai découvert Corinne et son spectacle dans une guinguette, en bords de Garonne, les images qui illustrent cet article ont été prises à Lamothe-Landerron, au local Sans Crier Gare, fourni à Corinne par l’association culturelle, sociale et éducative La Petite Populaire dans le cadre d’une résidence permettant à l’artiste de confronter son spectacle à une scène fermée et d’y travailler le son et la lumière. Ce travail a été effectué en collaboration avec Vincent Castaño. Avec également, à l’accompagnement à la mise en scène sur tout l’ensemble de “Peau Aime” Lalao Pham Van Xua.
A la rencontre de Corinne Rousseau.
“L’instinct de mort”, écrivait Jacques Mesrine en 1977, faisant de ce cri du coeur et du corps le titre de son autobiographie. Mesrine avait une certitude vissée au creux de ses tripes : celle de mourir violemment et prochainement.
L’instinct de Vie est un autre cri du corps et du coeur. Celui de Corinne Rousseau. Celui, non pas d’un livre, mais d’une trajectoire. Celle d’une fan des Rageous Gratoons ou de LaReplik qui très tôt a plongé dans le spectacle vivant. Celui du cirque et celui du théâtre et de la rue.
En 2003, elle intègre le spectacle “Le manège à mémoire” de Cabadzi, qui est alors une compagnie de nouveau cirque. Dans ce théâtre d’ombres et de musique, elle incarne un clown et participe à la tournée.
“J’avais envie de faire un spectacle depuis longtemps, mais je ne me le permettais pas.”
Bien que son prof de théâtre de l’époque, Jean-Louis Gonfalone (également auteur et metteur en scène) lui confirme qu’elle a tout pour être comédienne, elle ne se fait pas confiance et part vivre de métiers divers, se confrontant à l’usine, au maraîchage. Puis, plus tard, aide-soignante et enfin masseuse Tui Na.
Parallèlement, pourtant, elle conserve coûte que coûte un pied dans tout ce qui touche à l’art vivant, la musique principalement. Entre différentes animations, en EHPAD notamment où elle monte une chorale, elle se fait bookeuse pour plusieurs groupes. Spectatrice assidue de tout ce qui est représentation artistique, elle finit par tomber, lors du festival Comment Dire à Targon, sur les textes de Patrick Deletrez, plasticien basé à Uzeste. Les Nuls, par la voix de Valérie Lemercier, aurait dit “banco !”. Corinne s’est “contentée” d’un “Hey ! j’en monterai un spectacle ! “ en se plantant devant l’auteur des textes de façon très spontanée.
“Ce sont les textes de Patrick Deletrez qui m’ont fait franchir le cap pour monter un spectacle. C’est par celui-là qu’il fallait que je commence.”
“Parce que, parallèlement à ma vie professionnelle, je reprenais mon accordéon, je rejouais, je composais des trucs, en mode privé. Et puis j’ai rencontré Simon (Bernard, comédien au sein de la Compagnie Sons de Toile, et musicien dans les groupes Araucane, Glönk et Cri Primate), mon compagnon, et Lalao (Pham Van Xua, danseuse et comédienne, membre également de la compagnie Sons de Toile). J’étais entourée de personnes dans l’artistique et le théâtre, et tout ça fait que j’ai créé “Peau aime”.”
Corinne se lance alors avec au départ un musicien, Pierre Thibaud. Ce duo batterie/accordéon constitue la première mouture du spectacle. Les textes sont lus plutôt que chantés mais Pierre la pousse à composer et à chanter. Puis le duo laisse place à un Seule en Scène.
“Pierre est un super musicien, un très bon musicien, mais on n’avait pas le même intérêt aux textes et je sentais qu’il fallait que je m’affranchisse et que je le fasse pour moi et selon moi. C’était nécessaire pour me sentir légitime.”
Cette décision conduit alors Corinne à repenser son spectacle tout en s’entourant des compétences nécessaires.
“On le jouait, avec Pierre, comme un concert, les morceaux les uns après les autres. Et puis, quand j’ai commencé toute seule, j’ai vite demandé de l’aide à Lalao qui a accepté. Je me suis rendue compte que quand je travaillais le spectacle en amont, avec Pierre, c’est-à-dire quand je faisais mes répètes avant qu’on se retrouve tous les deux, j’avais déjà créé des mises en scène que j’ai refaites devant Lalao. Elle a prit ce que j’avais et on a travaillé dessus. Ce travail de mise en scène, de regard extérieur, de distance avec le spectacle est super important, ça me permet de rester sur l’essence de ce spectacle, les textes. Ce qui est dit dans ces textes et la manière dont je les dis. C’est pas un concert.”
Après un gros travail de répétition à la Maison de Bieujac, café social et culturel géré par l’asso Encore Des Tiroirs Cachés, “Peau Aime” peut alors prendre son envol. Fusion totale de textes introspectifs, de mélodies à l’accordéon et concertina, de chant, de travail de comédienne, cette dramaturgie apparaît aux yeux du public une dizaine de fois depuis un an, passant d’un jardin à une guinguette avec des crochets sur la scène de différentes salles. Longtemps retenues, les envies de Corinne prennent enfin le dessus.
“Je commence à m’amuser pleinement !”
L’instinct de Vie. Ce cri du coeur et du corps. Qui met Corinne Rousseau à sa place, malgré les errements et les aléas. Ce cri. Primal. Pulsion de Vie.
C’est quoi ton truc avec l’accordéon ?
Le moment “C’est quoi un punk ?”
“Pour moi, être punk, c’est aller au bout de ses convictions. Donc on peut être punk de différentes manières. C’est au-delà de l’aspect musical, bien qu’il y ait ce truc là au départ. Mais pour moi c’est cet aspect…quelqu’un, même si on le regarde mal, il va au bout de ses convictions et s’en fout du jugement.”